Histoire
Les moments forts de l'érable
L'histoire de l'érable, c'est aussi celle du Québec d'hier à aujourd'hui.
En se basant sur les sources historiques existantes, on sait qu’entre 1536 et 1542, Jacques Cartier et ses compagnons, intrigués par un arbre qu’ils croyaient être un gros noyer, mais qui était en fait un érable à sucre, le coupèrent. De l’eau d’érable en jaillit alors en quantité et ils lui trouvèrent un goût de bon vin. Selon ce qui est rapporté en 1557 par le cosmographe André Thévet, un Amérindien leur aurait expliqué que cet arbre portait le nom de « couton ».
Il faut attendre jusqu’en 1606 et la venue en Acadie de Marc Lescarbot, avocat, voyageur et écrivain, pour recueillir un autre témoignage sur l’eau d’érable. Il décrit la cueillette par les Amérindiens et ce qu’il appelle la distillation de l’eau d’érable. Il évoque, entre autres sujets, l’utilisation de pierres chaudes pour la cuisson des aliments. Un peu plus tard dans le siècle, Gabriel Sagard, un missionnaire récollet, confirme l’utilisation de l’eau d’érable par les Amérindiens et ledit procédé d’évaporation. Il en parle comme d’un breuvage qui fortifie. Cette idée d’une boisson qui redonne des forces est aussi présente chez le père Le Jeune en 1634, relatant les récits de Montagnais qui, lors d’une famine, mangent de l’écorce d’érable pour combattre la faim. Il compare l’eau d’érable à un sucre doux comme le miel.
Tout au long du 17e siècle, les témoignages concernant l’eau d’érable se multiplient, confirmant une lente évolution de la consommation du sucre d’érable. Dans la deuxième moitié du 17e siècle, puis au 18e, les allusions à l’exportation de sucre d’érable en France comme curiosité culinaire se font plus nombreuses. Il faut savoir que cela coïncide avec l’augmentation de la consommation de sucre dans la population, mais on n’en est pas encore à une généralisation. Le sucre demeure une denrée principalement réservée aux nobles et aux mieux nantis. Toutefois, peu à peu, la culture de la canne à sucre se développe au Brésil et dans les Antilles et la demande pour cette douceur augmente.
Le sucre d’érable en dragée est un bonbon que le roi Louis XIV affectionne particulièrement, et c’est une femme d’affaires (ce qui est rare pour l’époque) et une manufacturière de Montréal, Agathe de Repentigny, qui se charge de lui en faire parvenir. Ce qui est cependant le plus marquant au cours du siècle que l’on qualifie de celui des Lumières, c’est le regard de la science, autant sur l’érable à sucre que sur les vertus de l’eau d’érable et du sucre d’érable, dont la consommation est généralisée en Nouvelle-France en 1749, comme attesté par le biologiste suédois Pehr Kalm.
En 1708, le sieur de Dièreville, lors d’un voyage en Acadie, explique la technique rudimentaire d’entaillage des érables par les Amérindiens. Elle consistait à pratiquer, à coups de hache, une incision de quatre pouces de largeur et d’y insérer un morceau de bois en forme d’auge, d’où l’eau s’écoule dans un récipient, fabriqué le plus souvent en écorce de bouleau. En Nouvelle-Angleterre, Paul Dudley, dans un ouvrage consacré à la fabrication de sucre d’érable à partir de ce qu’il appelle le « jus d’érable à sucre », expose plus scientifiquement que tout autre avant lui le procédé de confection du sucre d’érable. Puis, Pierre-François-Xavier de Charlevoix, Monseigneur de la Barre et Joseph-François Lafitau confirment l’évolution du mode de production du sucre d’érable par l’apport du chaudron en fer.
L’érable à sucre, l’eau d’érable et le sucre d’érable obtiennent leurs lettres de noblesse grâce à des scientifiques de renom comme Henri-Louis Duhamel du Monceau, dans son ouvrage Le traité des forêts publié par l’Académie royale de France, Denis Diderot, dans son Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, et le botaniste suédois Pehr Kalm. Dans une approche holistique, ils expliquent le processus naturel qui survient dans l’érable à sucre, puis celui de la fabrication du sucre d’érable de même que les effets bénéfiques de l’érable sur la santé, ou, dans les travaux de Pehr Kalm, l’expansion de sa consommation pour donner un sens au qualificatif qui sera désormais le sien : le sucre du pays.
Le 19e siècle sera celui du passage d’un certain archaïsme dans les techniques d’entaillage et de récolte à de nouveaux moyens que la recherche et la science mettent à la disposition des acériculteurs. De l’entaille avec incision faite à coups de hache au vilebrequin, du seau de bois à la chaudière en métal avec couvercle, du chaudron en métal qu’il fallait retirer du feu à l’évaporateur et de l’abri en branchages à la cabane de planches, la production évolue lentement vers le modèle que nous lui connaissons encore actuellement, dans ses caractères généraux et excluant les appareils utilisés au 20e siècle. Ce n’est qu’au début des années 1950 que l’on découvre une méthode permettant la conservation du sirop d’érable et que l’on invente le beurre d’érable et la conserve de 540 ml (la fameuse « canne »), toujours en usage.
Dans les années 1920, on voit apparaître la classification du sirop d’érable en cinq catégories. Durant la deuxième moitié du 20e siècle, le consommateur remplace progressivement le sucre d’érable par le sirop d’érable. On le trouve maintenant dans les grandes surfaces, dans un nouveau format mieux approprié aux besoins des acheteurs de plus en plus urbanisés. En effet, ceux-ci délaissent l’épicerie du coin pour les supermarchés et les artères commerciales pour les centres commerciaux. C’est également à cette époque qu’un concours de dessin est organisé par le ministère de l’Agriculture pour orner la conserve de sirop d’érable, dessin qui apparaît encore aujourd’hui sur nos conserves.
L’embauche d’un premier chimiste par la Coopérative de producteurs de sirop d’érable, l’apparition de la tubulure dans les années 1970 et celle de l’osmose inversée dans les années 1980 donneront la possibilité à la famille dans l’érablière de diminuer ses heures de travail. L’augmentation du nombre d’entailles permettra, pour sa part, de satisfaire à la croissance de la consommation des produits de l’érable tant sur le marché intérieur qu’à l’étranger.
Au tournant du 21e siècle, la promotion des produits de l’érable, leur « désaisonnalisation » et, vers 2005, la recherche et l’innovation vont marquer la commercialisation des produits de l’érable, notamment par la découverte du Quebecol, une molécule propre au sirop d’érable qui fait partie de la famille des polyphénols.
Image : « The Indian at Work: Maple-Sugar-Making in the Northern Woods » after a sketch by W.M. Cary ca. 1880-1890
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